CARACTÉRISTIQUES

SIGNES PARTICULIERS

Esma ressemble à une petite vieille sans les rides : cheveux blancs, peau mate, épaules voûtés, maigre et discrète.

GOÛTS

J'aime... Le chocolat noir, les gâteaux faits maison, la pluie contre les carreaux et contre la peau, la poésie et Shakespeare, Beckett, observer les inconnus, les chats, la soie, les couleurs, l'odeur du safran et celle du musc, les Beatles et les Rolling Stones, Purcell, le poids du corps de la contrebasse contre le mien, la vibration intense de la corde sous l'archet.
Je n'aime pas... Le ciel gris sans pluie, les pulls en laine qui grattent, les parapluies, les dieux et les religions, les trucs trop sucrés, le jus d'ananas, qu'on me demande de parler Arabe pour voir, les regards déplacés et fuyants, le parfum sur les hommes, les dessins animés, les mangas, les hôpitaux, les démarches administratives, téléphoner.

CARACTÈRE

Discrète. Eh bien oui, à moins d'être bourrée -fait rarissime- ou très en colère, Esma est rarement partante pour être au coeur de l'attention. Pas par timidité, hein. Enfin, un peu. Plutôt parce qu'on écoute mieux en se taisant, et parce que sauter sur les gens, c'est surtout un bon répulsif.
Attentive, ça va de paire avec la discrétion. Esma se tait pour écouter et observer. Et peu peuvent se vanter autant qu'elle le pourrait d'en savoir, des choses, et de connaître ses amis. Et comme toute bonne âme qui se sert de ses oreilles, Esma est souvent le doudou de ses proches. Essuie-larme et banque à câlins, ce n'est pas toujours le rôle le plus fun qui soit, mais ça évite d'avoir à trop parler d'elle et puis avouons-le, c'est gratifiant. Et on ne manque jamais de tendresse.
Joueuse. Oui, bon parce que c'est bien beau d'écouter les gens gémir mais ça serait franchement triste sans un brin de fantasme et de cynisme innocent. C'est le revers de l'attention. De temps en temps me fouet d'une petite vanne pas méchante mais bien cinglante vous sert de coup de pied au cul et débarrasse Esma de vos lamentations quand la fatigue dit stop à la patience. Et puis il y a aussi ses jeux à elle seule, faits de rêverie et d'imagination, quand elle invente à un passant ou à une connaissance un passé secret, de folles idylles, un destin probable. Trop fugitives et risibles pour être écrites, trop agréables à créer pour être oubliées, les aventures des inconnus soulagent la gamine au sourire un brin triste un brin mièvre. Elle se sent un peu artiste, et a l'impression de voyager, c'est ce qui compte.
Boudeuse. On ne peut pas le nier, Esma n'est pas l'un de ces petits personnages de romans toute en couleurs et en rires pétillants. C'est même plutôt le contraire. Non pas qu'elle soit du genre à se vexer et à vous insulter pour la moindre bourde. C'est plutôt qu'un évènement contrariant la fera progressivement plonger fans une bulle maussade. Affichant une moue boudeuse, peu énergique et un brin râleuse, l'Esma de mauvaise humeur s'évitera de montrer sa sensibilité -aux autres ou à elle-même- en grommelant, usant au pire de monosyllabes et rêvant d'ailleurs.
Raffinée. On vous le dira tout le temps, Esma ne correspond pas vraiment au cliché de l'immigrée arabe. Depuis toujours, même au pays, on l'a éduquée avec tendresse mais fermeté quant aux bonnes manières et à tout ce qui s'ensuit. Si Esma a pas mal perdu le sens de la famille et de la tradition, elle reste néanmoins consciencieuse et délicate, comme son éducation le prévoit. Et aussi, richesse oblige, des goûts de luxe, il faut bien l'admettre. De son éducation ferme découle un raffinement tout autre, une complexité interne autant composée d'ombre que de lumière et qui peut parfois faire montre d'une certaine harmonie désordonnée. Peu de choses sont vraiment simples à expliquer chez elle, que ce soit sa tenue -entassement complexe de couleurs et d'étoffes -, ses réactions parfois ambigües ou son étrange sensibilité face aux autres qui se transforme en compassion par instinct de protection. Bref, rien n'est simple ou brut chez Esma, et son raffinement tient autant à des manières sophistiquées pratiquées par une personne naturelle qu'à une complexité inextricable et envoûtante.

SECRET(S) ?

J'ai pas de secrets, juste quelques blancs. Mais vous ne vous en rendrez pas compte, pas de panique.

POSSESSIONS

Esma n'est pas du genre à collectionner les grigris pour se rassurer. Elle a quelques jolis bijoux auxquels elle tient beaucoup, un smartphone qui la quitte rarement même s'il se doit souvent d'être éteint - règlement oblige, et toujours un feutre noir et un bloc notes en poche. Oh, Esma ne sait pas dessiner, mais elle aime bien griffonner de temps en temps, comme ça.

FAMILY

Juste Papa, trop occupé mais gentil, et Maman, avec ses fleurs, ses larmes et sa tendresse distante.

STORY

Je me suis toujours dit que le destin s'arrangeait pour détruire le job de la chance. Ils doivent pas bien s'entendre tous les deux. Mes parents sont nés malchanceux. Pauvres, à peine lettrés et superstitieux. Ils croyaient en cette salope de bonne étoile familiale. Quand j'étais encore toute petite, ils ont prié et joué pour la énième fois à la loterie nationale au lieu d'emmener maman chez le docteur -elle toussait. Le lendemain, on était riches. Très, très riches. On a tout fait pour que l'argent reste et soit utile. Papa disait que j'aurais ma chance, il paraît. Ils ont acheté un aller simple pour Londres et payé des gens qui ont fait faire des petits à l'argent. Maman a ouvert une boutique de fleuriste, Papa a commnencé à dédier sa vie à son fric. J'avais 4 ans et on était bien, on est repartis à zéro. Depuis, il s'est rien passé de majeur.

- Et le destin, là-dedans ?

Ah oui. C'est vrai qu'il vous faut un diagnostic, à vous les psy. On se connaît pas, mais il faut tout régurgiter pour vous et patauger ensemble dans le passé.
Le destin nous a rattrapés quand j'avais quatre ans. La nounou m'avait collée dans le canapé devant les dessins animés, le temps d'aller s'acheter un paquet de clopes. Et quand elle est revenue, j'avais disparu. Les flics m'ont retrouvée et j'avais ces cheveux-là. Voilà.

- C'est tout ?

Ouais.

- Bon.

Il fait le coup de : pas de confiance, pas de relation. Bon.

- Et maintenant ?

Maintenant, ça fait douze ans que j'ai les cheveux blancs, que je suis déçue par tout et que la vue d'un steak me fait vomir. Il paraît que j'ai toujours été plus ou moins dépressive, selon les moments. Je me souviens surtout des moments où c'était plus, le cerveau humain est fait comme ça je crois.

- Et tes parents ?

Ils font ce qu'ils peuvent... Leur chance a tourné, ils s'y sont faits je crois. Je suis devenue leur échec, leur fardeau. Il faut me protéger, s'occuper de moi. Ils ont abandonné l'idée de me donner un petit frère, du coup. Maman prend des cours de cuisine avec moi et papa m'emmène voir la mer un week end sur deux. Ils ne savent pas comment être proches de moi mais ils s'en sortent comme ils peuvent. Ca me suffit. S'ils étaient toujours à me couver, je crois que j'étoufferais. M'envoyer dans un internat, ça les soulagera sans doute.

- Et pas toi ?

Moi, quoi ? Je devrais être soulagée de quitter le cocon de ma chambre à Oxford, de ne plus pouvoir flâner dans la serre de Maman, tout ça pour devoir me mêler à une foule compacte qui ne regarde que mes cheveux passés à la javel, et rien d'autre ? Bah, me regardez pas comme ça non plus. Je sais me faire des amis, hein. Quand je veux. Quand ça marche. Quand les gens me plaisent. Ca arrive. Enfin, on ne peut pas dire que ce soit de quitter mes amis l'an prochain qui me fasse peur. Je suis indépendante, et mes amitiés durent le temps qu'elles durent, j'imagine.

[...]

- Je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps et que tout cela doit vous lasser, monsieur Shoushana.

- Je peux faire un effort pour Esma. Je serais prêt à tout pour qu'elle aille mieux.

- Mais aucun psy ne la fera aller mieux, c'est ce que vous pensez, non ?

- Elle en a tellement vus... J'ai l'impression qu'elle fait son chemin seule, et qu'elle prend le temps de se reconstruire.

- Pourtant, vous lui imposez Black Velvet.

- Esma a besoin d'un cadre, c'est ce que qu'on nous a dit. Elle a besoin de quitter le cocon qu'on lui a tissé, on s'est dit que là-bas c'était ce qu'il y avait de mieux. J'aimerais qu'elle soit contente du changement mais elle a accueilli la nouvelle sans aucune émotion apparente.

- Savez-vous ce qui s'est passé quand on l'a enlevée ?

- Et vous ?

- Non.

- Sa vie doit continuer. Tous ceux qui nous connaissent résument notre fille à son traumatisme. Mais elle n'est pas que ça ! Elle savait lire à cinq ans, c'est une musicienne formidable depuis qu'elle a rencontré sa première contrebasse. Elle invente la vie des gens qu'elle croise dans le métro, elle nous a fait un poulet basquaise sublime hier soir. Elle a vécu son premier amour à 14 ans et nage comme un poisson. Ma fille n'est pas que l'enfant kidnappée de quatre ans, elle a grandi et est devenue quelqu'un.

- Je vois.

- J'ai décidé de ne rien lui demander là-dessus. A quatre ans, elle a pris la décision ferme de ne pas en parler, je ne vois pas pourquoi je devrais lui faire subir chaque jour un interrogatoire au cas où elle aurait changé d'avis.

- Votre femme fait la même chose ?

- Le repli d'Esma a été affreux à vivre pour elle. Elle l'a pris comme un échec, elle qui voulait offrir une vie parfaite à son petit trésor... Elle ne lui en parle pas mais la question est toujours là, en suspens. Alors elles n'ont pas de conversations, elles font des bouquets et des petits plats ensemble. On croirait de petites ménagères d'autrefois. Elles n'ont rien trouvé de mieux pour être bien ensemble sans que ça finisse en crise de larmes pour madame et en un isolement total pour mademoiselle.

[...]

Mon histoire est sans histoires. Quelques voyages en été, fille unique chérie et gâtée. Des notes correctes, des amis convenables. Du shopping avec Maman et une sale manie d'inventer une histoire à tous les gens qui passent au Starbuck's. Des cheveux blancs coupés souvent, une angoisse noyée dans le filet les antidépresseurs, des repas sautés et des rires discrets. Et puis voilà. Pas d'quoi faire une analyse, doc'.